lundi 8 décembre 2003

Conférence de Monsieur Charles Caouette (2003)

« Charles Caouette, avant tout grand humaniste, est professeur en psychologie de l'éducation à l'Université de Montréal. Conférencier très recherché, il est reconnu internationalement pour ses travaux et ses positions sur l'enfance inadaptée, le décrochage, l'éducation en milieu défavorisé et, enfin, le mouvement alternatif en éducation. En 1974, il fondait l'école alternative Jonathan, pionnière des écoles publiques alternatives au Québec. »

De plus en plus de parents et d'enseignants se questionnent sur les enjeux et le devenir de l'éducation. En quoi le système éducatif alternatif saura répondre plus adéquatement aux besoins et aux aspirations des familles qui ont choisi cette voie plutôt que le circuit traditionnel ?

C'est sur ce thème qu'est intervenu Charles Caouette à la Fourmilière samedi 26 novembre 2003 en matinée, au cours d'une conférence unanimement appréciée par l'assistance. Avec beaucoup d'humour, il a su captiver son auditoire et a confirmé sa réputation de grand conférencier en s'aidant d'une estrade pour compenser sa modeste taille.

Soulignant d'entrée les besoins de réalisation psychologique de chaque individu : trouver et donner un sens à sa vie, rechercher un sentiment profond et stable d'unité intérieure, se sentir en relation et en harmonie avec les autres hommes, il précise que l'école, loin de répondre à ces besoins de transcendance (ce qui devrait pourtant être sa vocation) les occultent et pousse plutôt les jeunes soit au décrochage, soit à la résignation. Rapports artificiels d'individualisme, de compétition, voire d'intolérance relative, exclusion, marginalisation... Ce manque de vision globale dont l'école fait preuve, traduit une philosophie incohérente et une absence de regard critique sur les bouleversements actuels de la société, ce qui entraîne des réponses inadéquates aux défis auxquels elle est confrontée.

Le Québec détient le triste record des pays développés de suicide chez les jeunes, le taux alarmant de décrochage scolaire (50% d'abandon avant le sec.V, 30% du personnel enseignant frappé de découragement) remettent particulièrement le système pédagogique actuel en cause, car il s'appuie sur l'uniformisation de l'éducation, l'indifférenciation des individus et créé un fort sentiment d'anonymat et de dépersonnalisation chez les jeunes.

Le type d'évaluation actuel des élèves, tel qu'il est appliqué dans les établissements publics traditionnels, entretient l'illusion que le contenu est acquit durablement, alors qu'il est largement reconnu que ces connaissances sont fixées très peu de temps dans la mémoire à court terme des élèves, avant d'être oubliées rapidement en grande partie.

Il faudrait, pour qu'une pédagogie appliquée soit efficace, que les enseignants s'adaptent aux cycles naturels d'apprentissage des enfants et non l'inverse qui consiste actuellement à essayer de programmer, de formater les enfants en leurs imposant une discipline d'apprentissage contraignante, un environnement inadapté à leurs besoins qui étouffe leur créativité et leur spontanéité. Mais, pour les enseignants, c'est peut être déconcertant, voire déstabilisant de remettre leurs pratiques et leurs certitudes en cause, d'accepter d'introduire une part d'improvisation, de lâcher prise pour leur permettre d'observer les enfants plutôt que les diriger, car ce processus ne suit pas forcément la logique linéaire et rigide du programme scolaire établi, ni du mode d'évaluation du système pédagogique classique, c'est une des raisons principales qui font que le statu quo est si durable face aux causes du problème qui sont pourtant clairement identifiées.

Pour le conférencier, la multiplication des réformes ne fait que tranquilliser le législateur sans pour autant s'attaquer à l'essentiel du problème : c'est à l'application de nouvelles valeurs, de nouvelles attitudes que l'école et plus particulièrement le système éducatif doit s'attacher à instaurer et promouvoir.

Se servant de la parabole des dominos, selon laquelle il suffit de mettre la première pièce en mouvement pour que les autres enchaînent l'action, le conférencier estime que les Êtres humains doivent se relever, se tenir debout, chaque effort sera important et nécessaire afin de faire évoluer la situation

La mission de l'éducation devrait être consacrée à la formation d'être humains autonomes, libres, conscients et engagés, responsables de leur vie et non pas seulement orientée vers les seuls besoins immédiats de l'industrie et du marché de l'emploi, comme c'est trop souvent le cas, malheureusement. Et ce désir de vouloir changer la société pour un monde meilleur n'est pas plus du domaine de l'utopie, que la volonté de vouloir conserver celle-ci dans l'état actuel de crainte, d'injustice qui gouverne les relations entre les humains !

Dans le monde, beaucoup de jeunes se cherchent une mission, ce qui peut amener ceux-ci à s'investir dans des causes parfois extrêmes. Les adolescents ressentent avec une intensité particulière ce sentiment et souvent, leurs révoltes constituent l'expression d'un puissant désir de participer à la construction de leur société. Cette manière de s'affirmer témoigne de leur besoin de communiquer coûte que coûte, de prendre la place qui doit leur être réservée. C'est dans un tel contexte de carences d'idéaux, de manque de projets de société, que s'insère le quotidien des jeunes générations actuelles, aggravé par un certain fatalisme cynique ambiant, de plus en plus astreint à la logique implacable de la rentabilité immédiate.

Dans ce domaine, l'école alternative représente la réponse idéale. Elle s'adapte avec beaucoup plus de souplesse au contexte éducatif elle personnalise l'intervention en étant davantage centrée sur l'enfant, elle favorise l'initiative et la créativité, suscite la motivation intrinsèque et l'intégration des savoirs.

Les écoles alternatives favorisent l'autonomie tout en soulignant les responsabilités individuelles et collectives de l'élève au sein de la communauté et le prépare à la nécessité de cohérence et de planification qui doit caractériser ses actions. Le but ultime de leur mandat n'est pas seulement de faire de nos enfants des consommateurs satisfaits et quelques peu silencieux du système dans un proche avenir, mais au contraire de devenir les bâtisseurs d'une nouvelle société, celle-là même qui saura s'approprier le pouvoir collectif qu'il est urgent d'exercer ici et maintenant, sans plus attendre.

Les écoles alternatives qui sont intégrées au système public d'éducation ne doivent pas se fondre dans l'ensemble, mais au contraire cultiver leurs différences : en entretenant leur caractère spécifique elles se doivent, au contraire, d'être dérangeantes afin de susciter le questionnement et la prise de conscience à tous les niveaux du système pédagogique.

Il est sans doute pertinent de se questionner sur la nature de nos relations avec nos enfants et sur les priorités des besoins communs favorables à une croissance harmonieuse : l'absence de relations significatives entre jeunes et adultes et entre adultes eux-mêmes, la poursuite effrénée du bien être matériel responsable de l'éclatement d'une certaine stabilité de la cellule familiale n'a t'elle pas lentement provoqué une carence de communication et une dangereuse perte de contact affectif ?

Il est de l'intérêt des adultes de prendre en charge leur destinée et de ne plus laisser les autres individus prendre les décisions à leur place (M. Caouette a cité les taux préoccupants de participation aux dernières élections scolaires) il est d'autant plus urgent pour les parents responsables de montrer l'exemple d'adultes cohérents, critiques, attentifs et toujours prêts à s'investir pour une bonne cause dans la société, dans le domaine communautaire ou humanitaire.

En résumé, pour responsabiliser un enfant, il faut lui laisser une réelle autonomie, en lui permettant d'expérimenter et de maîtriser les responsabilités, les droits et les devoirs qu'implique cette autonomie. L'ouverture aux autres cultures et société, l'implication pour la solidarité la justice et la paix dans le monde sont des idéaux que devrait soutenir l'école, et à plus forte raison les établissements alternatifs qui se doivent d'être les pionniers de toutes initiatives dans ce domaine... Nous avons, nous adultes, la responsabilité d'engagement et d'exemple à suivre !

Comme le dit Charles Caouette, ne nous privons pas d'un geste en pensant qu'il sera trop dérisoire pour être significatif ; pensons au domino et rêvons d'être ceux par qui viendra le changement.


Écrit par: Michel Mougenot - Saint Jérôme (Québec), décembre 2003

Charles Caouette est l'auteur de « Si on parlait d'éducation. Pour un nouveau projet de société» (Montréal, VLB Éditeur, 1992.), et « Éduquer pour la vie !» Montréal, Éditions Écosociété, 1997, 171p.







Aucun commentaire: